Article d’opinion : « Hyppocrate à la trappe »

    « Il avait été prévu au précédent numéro que soit abordé la manière dont une municipalité pouvait mettre en oeuvre une politique sociale. J’avais caricaturé les deux positions idéologiques gauche/droite en montrant les conséquences sur la prise en charge des personnes en difficultés. Je ne rentrerai pas dans le détail des mesures. Elles sont innombrables et peuvent toutes être passées au crible de ces deux idéologies.

Aujourd’hui mon propos sera bien différent puisque l’actualité insiste : la réforme nommée « hôpital 2007 » l’amendement Giraud repris par le ministre Mattéi, sont deux exemples du génie de nos gouvernements, gauche et droite confondues, à vouloir saper sans relâche le système unique de soin français. La logique comptable adaptée sans nuance aux services publics va créer dans un avenir très proche (toujours plus proche que l’on croit) des inégalités telles qu’il sera impossible pour les personnes les plus défavorisées d’accéder à toute sorte de soins. Je m’explique.

Ce projet « hôpital 2007 » initie la tarification à l’acte. Il faut traduire : chaque acte de chirurgien, médecin hospitalier, infirmière, chaque médicament, matériel utilisé, chaque repas … sera comptabilisé pour dresser le coût d’une maladie. Un cancer du colon égal tant … une jambe cassée égal tant de plâtre et de tours de main pour bander le membre mutilé, etc … Quoi de plus normal d’évaluer au plus précis le coût d’une intervention comme cela se pratique dans le privé. Rien sinon que le budget d’un service sera conditionné à son rendement, sa productivité.

Pire encore le chef de service, s’il veut maintenir son personnel ou bien même son service, devra produire un certain nombre d’actes dit rentables (les maladies nécessitant une prise en charge courte, les moins coûteuses en matériel et en personnel …) Aujourd’hui, le grand scandale : « à peine sorti de l’anesthésie, il vous faut déguerpir hébétés, comme un voleur pour laisser une autre vague de consommateurs hébétés eux aussi d’arriver comme un cheveux sur la soupe, avec l’étrange impression de déranger tout le monde. »

Cette logique de boutiquier - dont on ne mesure que difficilement les effets pervers sur la santé des français, sur l’état de la recherche en médecine, sur l’hyper concentration des services et donc sur l’abandon des structures de proximité, l’abandon des traitements les plus coûteux au profit des cliniques privés réservés aux possesseurs des meilleures mutuelles, va faire glisser l’hôpital publique dans des dilemmes insolubles. (Réservées aux classes les plus aisées : que l’on ne s’y trompe pas, ce sont moins les pauvres, exclus, démunis qui sont visés, ils ont déjà déserté les lieux de soins, mais bien les classes moyennes déjà les plus visées par les impôts directs et indirects) Prendre en charge tel malade atteint d’une maladie difficile à traiter interdira d’accueillir un autre patient pourtant tout aussi nécessiteux !

Le serment d’hyppocrate que prêtent encore les médecins devra se commuer en chéquier. C’est le renoncement à plus de 2000 ans d’histoire de la médecine, de travail clinique auprès des patients. Les portes de l’hôpital vont peu à peu se fermer devant nous comme elles se sont fermées (évidemment, ce n’est pas la responsabilité de ceux qui y travaille) cet été devant les victimes de la canicule.

Le trou de la Sécu ne vaut pas un mort causé par l’incurie de ceux qui pensent notre système de santé. Il s’agit d’un choix de société oui ou non ? ? ? Mesurer la vie comme ils le font déjà, d’autres l’ont déjà fait : on ne connaît les ravages.

Ne tardez pas à demander des comptes à vos élus, les conseillers généraux, régionaux, députés ou sénateurs pour qu’ils prennent leur responsabilité face au monde qu’ils construisent en toute ignorance de cause (il faut l’espérer) car nous sommes déjà dans « le meilleur des mondes » d’Aldous Huxley*. »

Cyril SAUTEJEAU
Janvier 2004

* Ecrivain Anglais 1894-1963. Esprit sceptique et brillant auteur de « Le meilleur des Mondes », « Contrepoint », « L’île », …
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